Voici un résumé de l'Essai sur l'histoire de la mort en Occident, du Moyen Age à nos jours de Philippe Ariès. Il s'agit d'un ouvrage incontournable sur l'histoire des mentalités face à la mort. Seulement deux des fragments qui suivent le texte principal sont résumés ici, les autres ayant semblé moins intéressants.

I - Les attitudes devant la mort

1 - La mort apprivoisée

2 - La mort de soi

A - La représentation du Jugement dernier

B - Dans la chambre du mourant

C - Le transi

D - Les sépultures

3 - La mort de toi

4 - La mort interdite

II - Fragments

1 - Richesse et pauvreté devant la mort au Moyen Age

2 - Huizinga et les thèmes macabres

A - Les représentations de la mort aux XIIe et XIIIe siècles

B - Eros et Thanatos du XVIe et XVIIIe siècle

C - Une signification du macabre du XIVe-XVe siècle

D - Où commence, au XIXe siècle, la peur de la mort

 

 

I - Les attitudes devant la mort

1 - La mort apprivoisée

          La mort au Moyen Age est une mort consciente, de préférence au lit. Le mourant a la conviction intérieure qu'il va mourir et accepte sa mort (et cela se poursuit à la Renaissance et même au XVIIIe). Le fait d'être averti permet de prendre ses dispositions. Les morts du Moyen Age, croyants, se tournent vers Jérusalem, dans l'attitude des gisants, face vers le Ciel. Le cérémonial de la mort comprend plusieurs étapes : le regret de la vie (de courte durée, sans dramatisation excessive), la demande de pardon du mal qu'on a fait, la recommandation à Dieu de ceux qui survivent, la prière (pénitence) et l'absolution. Ce protocole est public : le lit du mort est entourée d'une assistance parfois nombreuses et qui comprend des enfants. La mort est acceptée paisiblement, sans drame excessif : c'est la mort apprivoisée.

          Une autre caractéristique de cette familiarité avec le mort est la coexistence entre morts et vivants au Moyen Age. Dans l'Antiquité, on observait une séparation stricte entre morts et vivants. Les cimetières étaient relégués hors des villes. Le phénomène se poursuit chez les premiers chrétiens. La cohabitation commence avec le culte des martyrs. On commence par construire des abbayes sur le lieu de sépulture des martyrs (mais toujours en dehors des villes). On enterre ensuite les corps dans les cathédrales, c'est-à-dire à l'intérieur de la cité. Désormais les cimetières sont associés aux églises comme le rappelle le mot aître, synonyme de l'anglais churchyard. On voit aussi l'apparition de charnier qui sont en fait des galeries décoratives d'ossuaires (les os sont empruntés aux fosses des pauvres). On constate également que l'emplacement des corps n'est pas fixe, même s'il reste toujours dans l'enceinte de l'église. Cette coexistence entre morts et vivants va plus loin que la simple tolérance des corps à l'intérieur de la cité. Les cimetières sont des lieux d'asiles. Ils comprennent des habitations et même des commerces (voire des artistes ambulants). Malgré quelques interdits cléricaux (interdit des spectacles, essentiellement), la gêne liée à ces pratiques ne naît qu'à la fin du XVIIe siècle.

2 - La mort de soi

          Si l'attitude de la mort apprivoisée persiste assez longtemps, des transformations apparaissent dès les XI-XIIe siècles. Avant, on considère la mort comme un phénomène collectif. Ensuite, on assiste à une personnalisation progressive. On peut en percevoir plusieurs symptômes.

A - La représentation du Jugement dernier

          Le premier type de représentation du Jugement dernier favorise la vision apocalyptique (Christ en gloire, évangélistes et résurrection des élus). Les notions de jugement et de responsabilité individuels sont absentes.

          Le second type de représentation (XIIe siècle) est inspiré par St Matthieu. Il donne une grande place à la pesée des âmes, au jugement (Conques).

          Le troisième type (XIIIe) reprend les caractéristiques du second. La pesée l'emporte définitivement sur la vision apocalyptique. Il y a plus de place pour l'intercession de la Vierge et de Saint Jean. Une grande importance est donné au bilan individuel, inscrit dans le livre de vie (les ressuscités d'Albi porte chacun le leur autour du cou). Cependant, le moment du bilan reste la fin des temps (et non celui de la dissolution physique liée à la mort).

B - Dans la chambre du mourant

          Les artes moriendi montre généralement le mourant dans son lit entouré de ses proches mais aussi de la Vierge et de démons. Si la balance de la pesée est absente de ce type de représentation, le livre de vie est toujours présent. Le bien et le mal semblent se disputer le mourant. En fait, il s'agit plutôt d'une ultime tentation, qui peut renverser la situation et remplace le jugement : une bonne mort peut racheter un mauvais bilan et vice et versa. Les artes moriendi constituent une synthèse entre la mort apprivoisée et le jugement individuel. Cela est représentatif d'une dramatisation de la mort, surtout dans les classes instruites.

C - Le transi

          Le gisant reste toujours plus répandu que le transi dans l'art funéraire. Au XVIIe, c'est le squelette qui prend de l'importance, plus que le cadavre en décomposition. La décomposition occupe plus de place dans la poésie. Elle est comprise comme le signe de l'échec de l'homme, échec lié à sa condition de mortel, omniprésente dans les esprits de l'époque.

D - Les sépultures

          Dans l'Antiquité, les sépultures étaient personnalisées (inscriptions et portraits). Cette personnalisation disparaît à partir du Ve siècle (abandon du défunt à l'Eglise) puis réapparaît au XIIe (accompagnée de services religieux commandés pour le repos de l'âme du mort). Il y a donc bien un processus d'individualisation de la mort.

 

3 - La mort de toi

          Entre la fin du XVe et le XVIIIe siècle, la mort se charge d'un sens érotique. La mort viole les vivants, l'agonie est rapprochée de la transe amoureuse, Roméo et Juliette se font leurs adieux dans un tombeau. La mort devient une rupture violente (comme la passion, l'orgasme) : elle perd sa familiarité. En se répandant, cette vision de la mort perd sa charge érotique, qui est sublimée. La mort devient romantique. La mort au lit et publique est dramatisée : des pleurs sont répandus, la séparation devient intolérable. L'idée de mort émeut les vivants (elle est parfois assimilée au Ciel, elle fascine) : il y a une véritable complaisance à l'idée de la mort.

          Les relations entre les mourants et leur famille évoluent également. Le testament, à l'origine, permettaient au défunt d'exprimer ses réflexions spirituelles et de s'assurer que sa volonté serait respecter par ses proches et par ceux qu'il chargeait d'un service religieuse pour le repos de son âme. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le testament se réduit à l'acte légal qu'il est aujourd'hui. Plus que le signe d'une déchristianisation, il faut voir dans cette laïcisation un changement des rapports de confiance et d'affection dans la famille. Le défunt confie ses volontés spirituelles à ses proches, en qui il a confiance, et n'a donc plus besoin du testament pour forcer leur volonté. Ce qui assistent à la mort prennent alors plus d'importance. Le deuil, qui était avant tout une convention sociale, tend à devenir la manifestation spontanée d'une déchirure. La mort de l'autre est plus difficilement acceptée.

          Cette transformation a provoqué un nouveau culte des morts. On ne tolère plus la négligence dont l'Eglise faisait preuve à l'égard des corps. On s'accroche aux restes des défunts. Les visites personnelles aux morts se développent. Le souvenir sert d'immortalité au défunt. C'est aussi devenue une forme d'expression du patriotisme (monuments aux morts).

          On observe au XIXe une différenciation des pratiques entre les pays anglo-saxons (et du nord de l'Europe) et la France, l'Allemagne ou l'Italie. L'art funéraire anglo-saxon est d'une simplicité romantique (une stèle verticale avec une inscription) alors que le nôtre est beaucoup plus baroque. Cette simplicité est rompue pour les héros nationaux (mémorial Jefferson…). On peut ajouter que les mourning pictures jouent aux Etats-Unis le rôle de tombeau portatif et représentent peut-être ce qui est représenté en France ou en Italie sur les monuments funéraires. En tout état de cause, il existe bien une ligne de rupture.

4 - La mort interdite

          Une révolution s'est faite au XXe siècle, d'abord dans les pays anglo-saxons : la mort est devenue un tabou. Dès la seconde moitié du XIXe, on commence à s'interroger sur la nécessité de révéler à un malade la gravité de son état, d'abord pour l'épargner lui, puis pour épargner l'entourage en lui évitant des émotions trop fortes. La mort ne doit pas troubler ce bonheur constant qu'est la vie.

          On observe un déplacement de la mort dans la première moitié du XXe siècle : on ne meurt plus chez soi mais à l'hôpital et souvent seul. L'hôpital est le lieu où on lutte contre la mort mais aussi le lieu où l'on vient mourir. La mort résulte souvent d'une décision technique (arrêt des soins, précédée d'une perte de conscience qui constitue une première mort). L'initiative de la mort n'appartient plus ni au mourant, ni même à sa famille, mais aux médecins. Ceux-ci s'efforcent de rendre la façon de mourir acceptable pour les survivants. Les rites post-mortem changent eux aussi. Les condoléances sont limitées, le deuil estompé. Toute manifestation excessive est jugée comme une anormalité morbide, on cherche à épargner les enfants en ne pleurant pas devant eux. Le développement de l'incinération est la solution la plus radicale de faire disparaître les morts. Les urnes ne sont pas visitées, les cendres sont parfois dispersées.

          En fait, il est possible de penser que ce refoulement de la douleur aggrave les traumatismes liés à la disparition d'un être cher.

          Ces phénomènes sont la résultante de l'instauration d'un tabou. La mort remplace le sexe comme interdit principal de la société. C'est une conséquence de l'obligation du bonheur qui apparaît au même moment.

II - Fragments

1 - Richesse et pauvreté devant la mort au Moyen Age

          Dans la première partie du Moyen Age, les obsèques comprennent quatre étapes : le deuil (assez violent, pleurs, vêtements déchirés…), l'absoute (seule partie religieuse), le convoi (laïc) et l'inhumation (peu solennelle). La cérémonie était probablement la même pour les pauvres et les riches. La différence de fortune se voyait plus à la matière du sarcophage et à la qualité de l'entourage.

          Dans la seconde partie du Moyen Age, une différenciation intervient. On se représente que chaque mort est tenté une dernière fois avant sa mort (artes moriendi). Cette tentation consiste notamment à présenter au mourant tout ce qu'il a aimé, possédé pendant son existence. S'il y renonce, il est sauvé. Autrement, il est avari, c'est-à-dire avide de la vie (des êtres comme des choses), ce qui le détourne de Dieu. Il y a une dramatisation de la mort en relation avec les richesses temporelles ou spirituelles. Pour ne pas avoir à renoncer aux biens de ce monde sans se damner, on s'offre après la mort des services religieux pour le salut de l'âme (c'est l'un des principaux rôles du testament : on lègue sa fortune aux monastères plutôt qu'aux héritiers). Le moment de dé-théauriser les richesses coïncide avec le moment de la mort. La richesse est donc à la fois le sujet de la tentation et le moyen s'en prévenir. De même, il y a, dans les épitaphes, une confusion entre la gloire terrestre et la gloire céleste. Les riches tombeaux servent moins à marquer le lieu de l'inhumation qu'à commémorer la mémoire du défunt. Une distinction réelle entre les deux n'est faite qu'au XVIe.

          Ces évolutions traduisent une nouvelle conscience de soi qui impliquent également un changement des funérailles. Leur caractère clérical devient plus marqué : pendant la veillée, les moines récitent l'office des morts. Ensuite, de nombreuses messes étaient dites. Le corps est déposé devant l'autel avant d'être inhumé. Le convoi devient religieux (les prêtres qui accompagnent le convoi appartiennent généralement aux ordres mendiants). Le deuil est en revanche moins manifesté (ou on loue des pleureuses professionnelles en Espagne).

          Tous ces facteurs contribuent à différencier fortement la mort des riches et celle des pauvres. Pour ces derniers, la présence des prêtres ne vient pas combler le vide laissé par la moindre solidarité du groupe. Participer à l'enterrement des pauvres devient alors une œuvre de charité à part entière. Des confréries se forment pour donner des intercesseurs et des prières aux pauvres. L'Eglise finit donc par intervenir dans les enterrements des pauvres comme dans ceux des riches.

2 - Huizinga et les thèmes macabres

A - Les représentations de la mort aux XIIe et XIIIe siècles

          Avant le XIIIe siècle, le visage du mort est toujours visible quand on procède à l'inhumation. A partir du XIIIe, il est dissimulé par un linceul ou dans un cercueil. Pendant les cérémonies qui précèdent l'enterrement, le cercueil est recouvert d'un catafalque (pièce de bois) qui porte parfois une statue représentant le mort. Pour avoir une représentation ressemblante, on développe la pratique du masque mortuaire, qui équivaut à une sorte de photographie. Cette pratique n'est pas contradictoire avec la volonté de masquer le mort. On reconstitue une image du vivant à partir de celle du mort.

B - Eros et Thanatos du XVIe et XVIIIe siècle

          La mort est durant cette période un objet de fascination. La mort se mêle d'érotisme, jusque dans l'art religieux : les saintes ravies en extase sont proches de la pâmoison sexuelle ; on représente avec délectation le martyr des saints. Le corps mort est l'objet d'observations morbides (et de recherches scientifiques). Il fascine. Certains corps sont momifiés (infants d'Espagne, capucins toulousains). La mort se retire de la vie quotidienne (rupture avec la familiarité traditionnelle) pour occuper une grande place dans les imaginaires.

C - Une signification du macabre du XIVe-XVe siècle

          Les thèmes macabres ont été instrumentalisés par l'Eglise pour susciter une peur de la damnation, et non un peur de la mort. Au départ, ces thèmes illustrent le sentiment d'un échec individuel. L'impuissance de l'homme est rattachée à la mort et au pourrissement physique (surtout au XVe siècle). Ce rapprochement entre la mort et l'échec fait naître un sentiment de mélancolie, de regret de la vie fragile et précieuse, mais pas de peur de la mort. Les images macabres traduisent une exaltation de ce sentiment.

D - Où commence, au XIXe siècle, la peur de la mort

          Lorsque la mort commence à faire peur, au XIXe siècle, on cesse de la représenter. De la seconde moitié du XIIe à la moitié du XIXe on craint la mort apparente, c'est-à-dire d'être enterré vivant. C'est la première forme de peur de la mort. Ensuite, on répugne à représenter la mort, mais on ne cesse d'évoquer la beauté des morts (dans les condoléances…)

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